Entretien : Yves Joli-Coeur, avocat émérite au barreau du Québec

par YS
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Yves Joli-Coeur«Une analyse des besoins du bâti»

L’épargne collective associée à l’immeuble s’appelle fonds de prévoyance au Québec. Ce fonds a été mis en place outre-Atlantique bien avant le vote de la loi ALUR qui impose le fonds de travaux en France.

Actuellement, le législateur québécois réfléchit à nouveau à l’adaptation de ce fonds de prévoyance aux impératifs grandissant de la rénovation énergétique. Considérant que ces orientations impulsées dans un pays d’Amérique du Nord, attaché au pragmatisme, pourrait inspirer les parlementaires français, nous avons interrogé Yves Joli-Cœur, avocat émérite du barreau du Québec, qui a l’avantage de bien connaître les enjeux français.

Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 667 d'avril 2021

Quelles sont les caractéristiques du fonds de prévoyance québécois par rapport au fonds de travaux instaurés en France ?

«Le législateur québécois a décidé, en 1994, de rattacher aux charges communes la contribution des copropriétaires à un «fonds de prévoyance» dont la constitution est alors devenue obligatoire. Cette contribution des copropriétaires n’est pas laissée à la discrétion du conseil d’administration, puisque celui-ci devrait prendre en considération les réparations majeures que nécessitera éventuellement l’immeuble, ainsi que le coût de remplacement des parties communes. L’objectif du fonds de prévoyance est d’éviter que les copropriétaires présents au moment des travaux majeurs, supportent à eux seuls la détérioration causée par l’usure du temps et ces travaux majeurs pour lesquels les copropriétaires précédents n’auraient pas contribué».

«Le législateur français a été conscient de la nécessité de mettre en place un fonds de réserve pour travaux futurs. Il l’a donc rendu obligatoire, en se basant sur le modèle du «fonds de prévoyance» au Québec. L’institution de ce «fonds de travaux» obligatoire s’explique par la crainte des pouvoirs publics de voir augmenter le nombre des copropriétés en difficulté. Il appartient ensuite à chaque copropriété de décider s’il lui convient de fixer la cotisation à ce fonds au-delà du 5 % minimum imposé».

«En fait, un tel fonds présente peu d’avantages s’il est trop modeste. Le recul n’est toutefois pas suffisant pour en tirer présentement des enseignements précis, bien qu’il soit reconnu au Québec qu’une cotisation limitée à 5 % ne donne pas les résultats escomptés dans la plupart des cas. Pour s’avérer vraiment efficace, le «fonds de travaux» devrait être adossé à une analyse des besoins d’entretien du bâti, après un diagnostic établi par un professionnel averti. C’est d’ailleurs l’avenue adoptée par le législateur québécois, qui vient de rendre obligatoire de telles «études de fonds de prévoyance» par tous les syndicats de copropriétaires».

 

L’utilisation de ces fonds ainsi constitués au fil des années est-elle réglementée au Québec ?

«Le fonds de prévoyance est constitué en fonction d’une planification prévisionnelle limitée à certains travaux. Il ne concerne que les réparations majeures ou le remplacement des parties communes de l’immeuble. Le conseil d’administration doit donc savoir identifier clairement ce que signifient ces deux termes. À cet égard, le Code civil du Québec (C.c.Q.) prévoit notamment que «les réparations majeures sont celles qui portent sur une partie importante du bien et nécessitent une dépense exceptionnelle…».

 

Quel est le statut juridique du fonds de prévoyance. La quote-part de l’épargne collective est-elle attachée au lot ou au propriétaire du lot ?

«Le Code civil du Québec prévoit que le fonds de prévoyance est, et demeure, la propriété exclusive du syndicat. Un copropriétaire ne peut donc réclamer le remboursement de ses contributions à ce fonds, lorsqu’il vend son unité. De plus, le conseil d’administration ne peut utiliser les sommes qui y sont engrangées à d’autres fins que celles pour lesquelles ce fonds existe. Il n’est pas dédié aux imprévus et ne peut servir à financer les opérations courantes».

 

Comment sont déterminés le niveau du fonds de prévoyance et l’apport des copropriétaires?

«Le conseil d’administration a l’obligation d’évaluer ou de faire estimer le coût des réparations majeures et du remplacement des parties communes de l’immeuble. L’opération constitue une «étude de fonds de prévoyance». La récente réforme législative du droit de la copropriété obligera le syndicat des copropriétaires à certaines obligations supplémentaires, dont celle d’obtenir une étude du fonds de prévoyance établissant les sommes nécessaires pour que ce fonds soit suffisant. Si l’étude du fonds de prévoyance révèle que le fonds s’avère insuffisant pour couvrir le coût estimatif des réparations majeures et le coût de remplacement des parties communes, le conseil d’administration devra fixer les sommes qui seront versées annuellement dans ce fonds de façon que celui-ci soit suffisant après une période d’au plus dix ans suivant la date d’obtention de la première étude».

 

Compte-tenu des projets en discussion, quel sera l’objectif d’une mesure instaurant un carnet d’entretien des immeubles en copropriété ?

«Préalablement à l’étude de fonds de prévoyance, le syndicat devrait avoir procédé à une évaluation détaillée et fiable de l’état physique de l’immeuble, afin d’obtenir un certificat d’état de l’immeuble. Ce bilan de santé renferme l’inventaire de toutes les composantes de l’immeuble, évalue leur état ainsi que les correctifs à y être apportés, le cas échéant. Une fois cette évaluation complétée, il y a lieu de procéder à la création du plan de gestion d’actifs. Ce plan permet d’optimiser la longévité des différentes composantes de l’immeuble et d’établir avec plus de précision leur durée de vie utile. Ainsi, les professionnels sont mieux en mesure de déterminer avec rigueur le coût de remplacement des parties communes et les sommes qui devront être versées au fonds de prévoyance».

«Quant au carnet d’entretien, il recense toutes les informations techniques concernant les méthodes d’entretien, ainsi qu’un calendrier d’entretien qui indique les opérations effectuées ou à venir, au regard de leur entretien ou de leur remplacement. La récente réforme législative québécoise obligera également les syndicats de copropriétaires à constituer et maintenir à jour un tel carnet d’entretien».

Ainsi, il s’agit de procéder à «de réelles études de l’obsolescence du bâtiment».