[N° 611] - Entretien avec Vincent Canu, avocat, spécialiste des baux : "notre société devient de plus en plus normée"

par Edilaix
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Vincent CANU est avocat au barreau de Paris, ancien membre du conseil de l’Ordre, spécialiste en droit immobilier.
Il est l’auteur de nombreux articles et ouvrages. Il siège à plusieurs comités scientifiques, notamment de la revue Administrer et de la Revue des Loyers. Il est, enfin, rédacteur au Dictionnaire permanent de gestion immobilière aux Éditions Législatives.
Il compte également parmi les membres du comité pédagogique de l’UNIS. (Union des syndicats de l’immobilier).

Le décret n° 2015-587 du 29 mai 2015 relatif au contrat type de location à usage de résidence principale et l’arrêté de la même date relatif au contenu la notice annexée au bail, ont été publiés au journal officiel le 31 mai 2015.
Pouvez-vous nous éclairer sur le sens de la démarche voulue par les pouvoirs publics au lendemain de la réforme Alur ?

«Notre société devient de plus en plus normée, et ce dans tous les domaines.»
«Pendant presque deux siècles, et jusqu’à la loi Quillot du 22 juin 1982, la location d’habitation a été régie par les seules règles du Code civil, hormis les locations régies par les dispositions de la loi du 1er septembre 1948.»
«Puis, au fil des lois successives sur le logement, les relations entre bailleurs et locataires ont été progressivement soumises à des règles d’ordre public, ne laissant pratiquement plus aucune place au champ contractuel.»
«Nous en sommes aujourd’hui à la dernière étape de cette évolution, qui se manifeste par l’instauration d’un bail-type obligatoire qui ne nécessite pratiquement aucun ajout, sauf cas très particulier ; c’est l’objet du décret du 29 mai dernier, applicable aux locations et colocations à bail unique de logements nus ou meublés ; un texte ultérieur définira le bail-type applicable aux locations du parc social et à la colocation à bail multiple.»
«Un arrêté du même jour précise le contenu d’une notice à joindre au bail-type, rappelant les principaux droits et obligations des parties ; il s’agit d’une notice de douze pages qui reprend les principales dispositions de la loi du 6 juillet 1989.»
«Ce bail-type est applicable depuis le 1er août 2015.»


Que pensez-vous des distinctions opérées par les textes règlementaires entre les locaux nus et les meublés ?
«Le décret contient deux annexes, l’une consacré au bail-type de location ou de colocation de logement nu, et l’autre au bail-type de location ou de colocation de logement meublé.»
«Dans la mesure où les deux statuts se sont beaucoup rapprochés puisqu’aujourd’hui, la location  meublée à usage de résidence principale est régie par la loi du 6 juillet 1989 (titre 1er bis), on aurait pu imaginer un seul bail-type avec des variantes ; d’ailleurs, il n’existe qu’une notice d’information commune aux locations ou colocations, nues ou meublées.»
«Ceci étant, d’un point de vue pédagogique, l’existence de deux contrats-types distincts se justifie.»


Quelles remarques vous inspirent les règles relatives au contrat type ?
«De manière peu surprenante, les clauses des baux-types qui sont les plus détaillées sont celles relatives aux aspects financiers du bail, ainsi le montant du dernier loyer acquitté par le précédent locataire, les honoraires des professionnels de l’immobilier facturables aux locataires et les modalités de récupération des charges.»
«L’accent est également mis sur la liste des équipements, et sur le montant et la description des travaux effectués depuis le départ du précédent locataire.»
«Ce bail-type n’apportera rien aux professionnels qui s’attachaient à rédiger des baux suffisamment détaillés pour prévenir autant que faire se peut toute difficulté ; il sera probablement utile aux personnes physiques qui procèdent elles-mêmes à la location d’un petit nombre de logements.»


La notice d’information constitue-t-elle, selon vous, un réel progrès allant dans le sens de la protection des parties au contrat de bail ?
«De même que trop de lois tue la loi, trop de documents tue l’information les annexes au bail sont de plus en plus nombreuses : un extrait du règlement de copropriété, le diagnostic de performance énergétique, le constat de risque d’exposition au plomb pour les immeubles anciens, un état des risques naturels et technologiques, l’état des lieux, les références de loyer, et si le logement est meublé, un inventaire ainsi qu’un état détaillé du mobilier.»
«On peut douter que le candidat locataire lise une notice d’information de douze pages avant de signer le bail.»
«Par ailleurs, au vu de la rapidité avec laquelle les textes sur le logement sont modifiés ou abrogés, on peut douter de la pertinence d’une information écrite annexée à un bail qui a pu être signé 5, 10 ou 15 ans avant que l’on ait besoin de consulter la notice…»
«Il aurait suffi d’un renvoi à une page dédiée sur le site web du ministère du logement, pour assurer efficacement l’information du locataire ; cette page présentant l’avantage de pouvoir être mise à jour aussi souvent que nécessaire.»
«En conclusion, on peut dire que le législateur était animé de bonnes intentions en prévoyant de fournir aux acteurs de la location d’habitation des documents-types destinés à améliorer les rapports locatifs, comme l’écrit madame Sylvia Pinel, ministre du logement.
On peut cependant s’interroger sur la pertinence de la démarche qui revient à imposer à nos concitoyens des normes, encore des normes, toujours des normes… jusqu’à quand ?»