[N° 608] - Entretien avec Patrice Lebatteux

par Edilaix
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Contrat-type de syndic : «Le ministre a choisi de publier un texte long et complexe».

Patrice LEBATTEUX, avocat à la cour, est président d’honneur de la Chambre nationale des experts en copropriété (CNEC). Spécialiste du droit immobilier, il est associé de la SCP Zurfluh Lebatteux Sizaire et associé. Il répond à quelques questions de la rédaction au sujet du contrat-type de syndic instauré par le décret n° 2015-342 du 26 mars 2015.

© Guillaume Hecht 

Contrat-type de syndic : «Le ministre a choisi de publier un texte long et complexe».

Patrice LEBATTEUX, avocat à la cour, est président d’honneur de la Chambre nationale des experts en copropriété (CNEC). Spécialiste du droit immobilier, il est associé de la SCP Zurfluh Lebatteux Sizaire et associé. Il répond à quelques questions de la rédaction au sujet du contrat-type de syndic instauré par le décret n° 2015-342 du 26 mars 2015.

© Guillaume Hecht

Le décret n° 2015-342 du 26 mars 2015 définissant le contrat-type prévu par la loi ALUR est paru un an après la promulgation de la loi. Néanmoins, la longueur et la complexité de ce texte sont dénoncées par les syndicats des professionnels concernés. Quel regard portez-vous sur le texte dans sa globalité ?
L’arrêté Novelli du 19 mars 2010 avait donné une liste minimale des prestations de gestion courante, les autres prestations pouvant donner lieu à des rémunérations particulières. Manifestement, cette liste minimale de prestations forfaitaires n’a pas résolu tous les problèmes, les prestations hors forfait ne cessant d’augmenter... La loi ALUR a eu le mérite de poser le principe inverse et d’un contrat « tout sauf ...», en sorte qu’un décret devait, d’une part, définir le « sauf », c’est-à-dire les seules tâches pouvant donner lieu à une rémunération hors forfait et devait, d’autre part, comporter un contrat type que tous les syndics auraient l’obligation de soumettre aux copropriétaires lors de la désignation ou de la réélection de leur cabinet.
Le ministre a choisi de publier un texte long et complexe. En quatre articles, le décret lui-même ne dit rien d’utile... si ce n’est l’exigence d’une police « de corps 8 » minimum ! Il se caractérise cependant par ses annexes dont « l’annexe à l’annexe au contrat de syndic» qui comporte la liste non limitative des prestations incluses dans le forfait », nullement prévue par la loi, qui, à premier examen, affaiblit la portée du « tout sauf ... » et qui juridiquement n’a guère d’explication.
Je pense avoir compris la démarche du gouvernement en me remémorant une anecdote : dès avant la publication du décret, certains syndics ont proposé à leurs clients des contrats « tout sauf ... » ne décrivant que les prestations hors forfait. La candidature d’un syndic ayant proposé ce type de contrat avait été écartée au motif que le contrat était muet sur «le travail du syndic»... bien détaillé dans les contrats concurrents !
En outre, je relève que «l’annexe à l’annexe 1» a le mérite d’entrer dans le détail
des tâches forfaitaires du syndic : il en est ainsi, par exemple, du contenu des archives du syndicat ou des tâches relatives à la maintenance et à l’entretien courant de l’immeuble, ou encore à la gestion du personnel.
En fait, on peut constater que si le décret du 26 mars 2015 est sans doute trop long, il a du moins le mérite, par son souci du détail, de veiller pour l’essentiel à l’équilibre du contrat dans son ensemble.

La Commission des clauses abusives et des associations de consommateurs avaient dénoncé les pratiques de certains syndics. Le texte de 2015 est-il porteur d’amélioration en ce domaine ?
Ces dernières années ont été marquées effectivement par la recommandation numéro 11-01 de la Commission des clauses abusives en date du 15 septembre 2011 et par un ensemble de procédures introduites par l’UFC-Que choisir ? devant les juridictions de Grenoble.
Manifestement, le texte publié le 26 mars 2015 rend sans objet les procédures grenobloises pour les futurs contrats et, de même, rend sans objet la recommandation numéro 11-01 de la Commission des clauses abusives relative au contrat de syndic de copropriété. Il en est ainsi de la déclaration et de la gestion des sinistres : par exemple, les annexes du décret font la distinction entre la déclaration comprise dans le forfait et la gestion administrative et matérielle qui peut donner lieu à des honoraires particuliers, tout comme l’assistance aux mesures d’expertise.
Il est également répondu par le décret aux reproches que faisait la Commission des clauses abusives quant à la présence de clauses manquant de clarté dans les contrats de syndic.
De la même façon, la Commission des clauses abusives avait dénoncé les prestations particulières redondantes. Du fait des détails qui figurent à l’annexe de l’annexe 1 (les prestations courantes) et à l’annexe 2, cette redondance paraît désormais impossible.
En revanche, j’observe que la Commission des clauses abusives avait dénoncé la pratique des prestations qui ne concernent que les relations entre le syndic et un copropriétaire et qui ne sont donc pas opposables au syndicat qui n’est pas partie au contrat. Or, les annexes du décret comportent bien la mention de prestations que le syndic effectue directement au profit du copropriétaire en précisant que ces prestations ne peuvent en aucune façon être imputées au syndicat des copropriétaires, même si toutes ces prestations étaient déjà évoquées dans la loi du 10 juillet 1965 et son décret d’application (recouvrement de créances, état daté, opposition de l’article 20, délivrance des documents).

Quels sont les points qui vous paraissent porteur de conflits dans l’application de ce contrat-type ? Que pensez notamment d’une liste non limitative des prestations incluses dans le forfait de rémunération du syndic ?
Une première réflexion s’impose : le luxe de détails apportés par le décret et ses annexes ne peut bien évidemment couvrir la totalité des activités de syndic, que ce soit à titre récurrent ou aléatoire. Chacun peut constater l’inflation des tâches du syndic (cf. la taille de l’article 18 de la loi de 1965 après la loi ALUR) ; qu’en sera-t-il demain ?  Au demeurant, il est dangereux d’être trop détaillé : chaque détail peut générer un conflit d’interprétation. Mais, dans leur rédaction actuelle, le décret et ses annexes ne me paraissent pas comporter de contradiction.Il est à craindre qu’à l’occasion de chaque révision bisannuelle, nous constations de réels conflits entre professionnels et consommateurs pour ajouter à l’une ou l’autre des annexes.
D’ores et déjà, l’ARC mène campagne contre certaines dispositions comme, par exemple, la facturation des protocoles d’accord sous-seing privé avec le débiteur de charges ou encore contre les presta- tions au temps passé non contrôlable (gestion administrative des sinistres, par exemple).
De leur côté, les syndics se sont montrés particulièrement surpris que le décret impose la mention dans leur contrat non seulement de leurs jours ouvrés et des heures de réception des copropriétaires, mais également des heures de permanence téléphonique.
Les syndicats de syndics professionnels, pour leur part, ont dénoncé le délai de trois mois beaucoup trop bref selon eux avant l’entrée en vigueur de ces dispositions alors que le CNTGI avait accepté un délai de six mois. Le texte entrera donc en vigueur le 1er juillet 2015. Pour autant, les syndics, sauf dans les résidences de vacances, ne tiennent pas d’assemblée générale entre le 1er juillet et le 31 août.
Une prestation incluse dans le forfait posera sans doute un problème : les frais de reprographie. En effet, ces frais, même à l’intérieur d’une même copropriété, peuvent varier dans des proportions considérables qui ne sauraient faire l’objet d’une estimation préalable. Cette disposition devrait inciter les syndics à mettre en œuvre le plus rapidement possible les notifications des convocations aux assemblées générales par voie électronique.


Le Conseil national de la transaction et de la gestion immobilière (CNTGI) réunit les représentants des organisations professionnelles et des associations de consommateurs. Ce conseil créé par la loi ALUR, a vocation à réguler et encadrer les relations entre les syndicats de copropriétaires et les syndics. Pourtant, le CNTGI n’a pas été suivi par le gouvernement sur son projet de contrat- type. Pis, son avis défavorable sur le projet de décret a été ignoré. Quelle peut-être aujourd’hui la crédibilité de cette instance ?
Professionnels et associations de consommateurs ont fait part de leur dépit lors de la publication d’un texte qui non seulement ne correspond pas à celui qu’ils avaient élaboré d’un commun accord au sein du CNTGI, mais qu’ils ont, de plus, désavoué.
Est-ce à dire pour autant que le CNTGI, à peine installé, se trouve désavoué ?
On rappellera que feu la Commission relative à la copropriété, placée sous l’autorité du président Capoulade (corédacteur de la loi de 1965 et du décret de 1967) n’a pas émis que des recommandations à l’usage des praticiens, mais a également donné des avis au gouvernement qui n’ont pas été nécessairement suivis par ce dernier.
Dès lors, il n’y a rien de surprenant à ce que le produit du groupe de travail mis en place par le CNTGI n’ait pas été retenu ... du moins en totalité et quant à la forme. Après tout, le Conseil national tel que créé par l’article 24 de la loi ALUR, n’a qu’un rôle de propositions. Reste à savoir pour quelles raisons le gouvernement n’a pas écouté les deux parties à la négociation. Aucune explication n’a été donnée, et certains y voient l’intervention d’un puissant groupe de professionnels. Si tel est le cas, on ne peut que le regretter.
Mais bien d’autres tâches attendent le CNTGI, dont l’élaboration du code de déontologie prévu par le même texte. On ne peut que former le vœu que le CNTGI dispose du temps et des moyens nécessaires pour s’imposer.