[N° 602] - Entretien avec Christian Atias

par Edilaix
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Christian Atias, agrégé des Universités, a enseigné le droit pendant 40 ans et l’a pratiqué, en qualité d’avocat, pendant près de 25 ans. Il est l’auteur de nombreux ouvrages juridiques et notamment en matière de copropriété : “Guide des charges de copropriété” ; “L’indivision” ; “Le copropriétaire face à l’assemblée générale : comment se défendre ?” ; “Les associations syndicales libres de propriétaires en lotissement”. Il vient de signer la cinquième édition du “Guide de la copropriété des immeubles bâtis” aux Annales des Loyers.
Christian Atias est l’un de ceux qui ont consacré leurs efforts à l’étude du droit de la copropriété des immeubles bâtis qui est devenu une discipline juridique à part entière.
Crédit : Assemblée Nationale

 

Que pensez-vous de la réforme du statut de la copropriété par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 ?
«Depuis des décennies, le législateur français affiche le plus souverain mépris pour la loi. Il la traite comme un chiffon de papier à jeter après quelques années, voire quelques mois d’usage. Il reconnaît ainsi, et proclame haut et fort, la mauvaise qualité de son travail. Les auteurs de projets ou de propositions se préoccupent d’attacher leur nom à une loi ; il faut pourtant manquer de charité pour rappeler qui fut à l’origine de ces textes trop souvent maladroits, inopportuns, insignifiants et incohérents. La 21ème réforme législative du statut de la copropriété des immeubles bâtis relève manifestement de cette tendance générale»


La loi du 24 mars 2014 apporte-t-elle un bouleversement au statut de la copropriété ?
«Une réponse assurée ne pourra être donnée qu’au vu des décrets d’application et des interprétations judiciaires. Les auteurs de la réforme citeraient probablement, comme réforme de grande importance, celle portant sur l’institution du mandataire ad hoc (art. 29-1 B et C, L. n° 65-557 du 10 juillet 1965) ; ses actions de négociation et de médiation sont supposées pouvoir enrayer l’aggravation de la situation des syndicats de copropriétaires dont la trésorerie est obérée. Il est permis d’en douter. Les difficultés des syndicats résultent généralement de celles de leurs membres.»
«L’éventuel bouleversement est ailleurs. La hiérarchie des majorités est profondément modifiée ; les exigences légales sont abaissées, en particulier pour décider des travaux d’amélioration (art. 25 n). Le choix opéré affecte la cohérence des dispositions légales et l’équilibre précédemment instauré entre pouvoir majoritaire et positions individuelles. La série des décisions relevant de l’article 25 de la loi de 1965 a perdu toute unité. La majorité intermédiaire valait pour des hypothèses où le syndicat ne dispose que d’une liberté d’initiative restreinte (sécurité, économies d’énergie, désignation des organes,…) ; désormais, des dépenses qui ne sont nullement nécessaires peuvent être décidées à la majorité des voix et même à celle des voix exprimées des présents et représentés (art. 25-1). Les copropriétaires qui voudront s’y opposer auront plus de difficulté à empêcher la réunion du nombre des voix exigé par la loi ; il ne leur restera que la voie de la contestation judiciaire.»


Au fil des réformes, quelles sont perspectives pour le statut de la copropriété ?
«Ce que l’adoption de la loi du 24 mars 2014 confirme, c’est que le législateur entend continuer de réformer la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 au rythme moyen, adopté depuis l’an 2000, d’une loi par an ; tout espoir de stabilité serait déraisonnable. Il est aussi confirmé que le statut de la copropriété des immeubles bâtis est de moins en moins un statut de l’une des modalités de la propriété privée ; les politiques du logement et de l’urbanisme inspirent la conception de la copropriété. L’époque où la préoccupation majeure était de la rapprocher autant que possible de la propriété de droit commun, est révolue.»
«C’est l’une des raisons qui expliquent les facilitées données à ceux qui veulent diviser une copropriété (art. 28). Il ne faut pas s’attendre à ce que le régime juridique de la copropriété évolue pour tenir compte des situations et difficultés concrètes, ainsi que des sources de conflits. Les lois successives obéissent à des idéologies variables, mais toujours présentes et actives. La réforme devrait très probablement fournir de nouvelles occasions de contentieux. La complexité accrue des listes déterminant le domaine des règles de majorité aura cet effet.»

«Les difficultés d’interprétation ne manqueront pas. Par exemple, l’article 28-IV crée une notion nouvelle ; il rend possible la division d’un ensemble immobilier complexe comportant plusieurs bâtiments sur dalle. D’après l’alinéa 2 de l’article 1er de la loi, un ensemble immobilier ne peut exister que si des parcelles font l’objet de droits de propriété privatifs ; plusieurs bâtiments édifiés sur une même dalle ne peuvent donc être ainsi qualifiés. L’harmonisation des deux dispositions légales pourra faire difficulté. Si l’article 28-IV devait l’emporter, plusieurs bâtiments sur dalle pourraient peut-être, désormais, être soustraits au statut de la copropriété en vertu de l’article 1er, alinéa 2, de la loi.»


Quels sont, selon vous, les avancées et les oublis de la loi ALUR ?
«Le bilan de la loi du 24 mars 2014 révèle diverses avancées et des oublis. Le bilan de la réforme ne peut être que nuancé et contrasté ; les modifications qui pourraient s’avérer bénéfiques ont aussi leur part d’inconvénients. Le législateur a pris, depuis 1965, le risque inconsidéré de soumettre tous les immeubles en copropriété au même régime presque intégralement impératif. Il ne laisse pratiquement aucune faculté d’adaptation des règlements de copropriété aux particularités de l’immeuble ; les rédacteurs sont dissuadés de tenter de faire preuve d’originalité par les incertitudes de l’interprétation judiciaire qui suscite en permanence la menace de l’annulation.»
«Le législateur semble avoir récemment découvert les effets néfastes de cette solution ; il a, en effet, créé des régimes partiellement dérogatoires, auxquels il peut être recouru pour les immeubles les moins vastes (Voir art. 14-3, al. 2, 17-1-1, 18-I AA, 25 a). Ce pourrait être un progrès ; en réalité, le manque d’homogénéité des dispositions dérogatoires et la complexité de la définition de leur domaine risquent de les priver de l’effet salutaire qu’elles auraient pu avoir. Le cas particulier des copropriétés de deux ou trois lots demeure très insuffisamment envisagé, alors que la mise en œuvre du principe majoritaire n’y a pas de sens.»
«Le nouvel article 9-1 de la loi institue, à la charge de tout copropriétaire et à celle des syndicats de copropriétaires, une obligation de s’assurer contre les risques de responsabilité civile dont ils doivent répondre (Voir aussi art. L. 215-2 et s., C. ass.). On n’insistera pas sur la présentation de la responsabilité civile comme un risque ; celui-ci naît, en réalité, de l’événement qui engage la responsabilité. Les avantages de la création de cette obligation paraissent manifestes. Deux questions se posent pourtant. La disposition nouvelle augmentera-t-elle le nombre des copropriétaires et des syndicats qui seront désormais assurés ? Quelle sanction sera encourue en cas de méconnaissance de l’obligation légale ? La condamnation du copropriétaire ou du syndicat insolvables à réparer le préjudice causé par le défaut d’assurance ne serait guère efficace.»
«L’instauration d’une sorte d’incapacité d’acquérir un lot de copropriété, qui frappe celui qui est débiteur envers le syndicat (art. 20, al. 3), est une heureuse initiative. Elle évitera la fraude consistant à priver la collectivité de trésorerie, en ne payant pas les charges dues, pour faire baisser le prix d’acquisition d’autres lots. L’inspiration est voisine de celle qui a conduit à priver de son droit de vote le copropriétaire qui est l’objet d’une délibération relative à la saisie de son lot (art. 19-2, dern. al.). Dans ce cas, le principe majoritaire est aménagé afin d’éviter qu’un débiteur n’en profite pour se soustraire à ses obligations et empêcher le syndicat de sauvegarder ses intérêts. Il serait possible d’analyser cette règle comme une dérogation au principe, ainsi confirmé, selon lequel un copropriétaire conserve le droit de voter sur une question qui l’intéresse directement.»
«La création d’un fonds de travaux (art. 10, 19-1) paraît favoriser l’anticipation sur les dépenses à faire ; il n’est pas sûr que les copropriétaires soient prêts à accepter d’avoir à supporter une charge supplémentaire dont la nécessité ne leur apparaîtra pas toujours clairement.»
«Il est judicieux d’essayer de réduire le nombre des recours au juge imposés aux copropriétaires, notamment pour pourvoir à la désignation du syndic. L’article 18-V de la loi de 1965, modifiée, va dans ce sens. Il habilite le président du conseil syndical, en cas d’empêchement du syndic, pour quelque cause que ce soit, à convoquer une assemblée générale appelée à désigner un nouveau syndic. Cette fois encore, la solution paraît comporter des avantages. Ses inconvénients sont aussi manifestes. En premier lieu, l’appréciation de l’existence d’un empêchement du syndic par le président du conseil syndical donnera lieu à contestation ; la notion est assez incertaine. En second lieu, le président du conseil syndical bénéficie d’une possibilité nouvelle. Elle pourra être interprétée comme lui imposant indirectement une obligation ; sa responsabilité pourrait être engagée s’il n’en avait pas usé.»
«A entrer dans tous les détails, la loi prend le risque de faire de ses inévitables lacunes autant d’obstacles à la recherche raisonnable de solutions pratiques appropriées par les notaires, par les copropriétaires, par les syndics, par les avocats et par les juges.»