[N° 600] - Entretien avec Patrick Safar - L’huissier de justice et la copropriété

par Edilaix
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Patrick Safar est huissier de justice à Melun et vice-président de la Chambre nationale des huissiers de justice (CNHJ). Il est également vice-président de l’Ecole nationale de procédure, qui forme les salariés des études et les futurs huissiers de justice.

 

Crédit : CNHU

Quelles sont principalement les interventions des huissiers réalisées à la demande des syndicats de copropriétaires (via leurs syndics) ou à la demande des copropriétaires eux-mêmes ?
Les missions de l’huissier de justice ne se limitent pas à exécuter les décisions de justice. Plus largement, il intervient auprès des copropriétés, qu’il s’agisse des syndicats de copropriétaires ou des copropriétaires eux-mêmes, aussi bien en amont qu’en aval des difficultés qui pourraient survenir. Son rôle peut ainsi être de nature préventive, et notamment sous deux aspects. Depuis le décret du 23 septembre 2011, l’huissier de justice peut exercer une activité de médiation conventionnelle ou judiciaire. Sa connaissance du droit de la copropriété en fait ainsi un professionnel particulièrement désigné pour rapprocher les parties. Il peut par ailleurs intervenir en qualité de constatant afin de matérialiser une situation factuelle conflictuelle. Parce que le constat d’huissier de justice a une valeur probatoire renforcée, ce mode est privilégié par les copropriétés afin de se pré-constituer une preuve. En la matière, l’huissier de justice peut réaliser soit à la demande de tous les copropriétaires, soit à la seule demande du syndic, des constatations dans les parties communes. De même, le constat d’assemblée générale, qui relate le déroulement de la réunion, est très souvent sollicité par les copropriétaires.
De manière plus classique, et sans entrer dans le détail des procédures, l’huissier de justice intervient en matière de recouvrement des charges impayées ou encore d’opposition par le syndic de copropriété au paiement du prix de vente d'un lot de copropriété dans le cadre de l’article 20 de la loi du 10 juillet 1965.

Sur quels fondements juridiques les huissiers peuvent-ils agir en qualité de syndics ? Sont-ils nombreux en France ?
L’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945 prévoit effectivement que les huissiers de justice peuvent exercer certaines activités qui ne relèvent pas de leur monopole, concurremment avec d'autres professionnels. L’exercice de ces activités, qui se fait à titre personnel, doit être distinct de celle d’huissier de justice ; c’est la raison pour laquelle l’huissier de justice ne peut faire état de sa qualité professionnelle dans le cadre de celles-ci. Parmi ces activités, l’article 20 du décret du 29 février 1956 vise l’activité de gestion d’immeuble qui comprend non seulement la gestion de biens immobiliers à usage d'habitation, d'exploitation professionnelle ou commerciale, mais aussi l'activité de syndic de copropriété.

Les huissiers peuvent intervenir lors des mises en copropriété : quelles sont les spécificités de leurs interventions par rapport aux autres professionnels ?
Les huissiers de justice offrent de nombreuses garanties aux copropriétaires tant du point de vue comptable que juridique. Du point de vue comptable, nous sommes habitués à une gestion rigoureuse, dans notre activité principale, de comptes clients affectés. Cette gestion rigoureuse est donc transposée de façon “intuitive” aux copropriétés. Du point de vue juridique, nous offrons de nombreuses garanties, tant au niveau des convocations que de la rédaction des procès-verbaux des assemblées générales. Il faut aussi prendre en compte les connaissances dont disposent les huissiers de justice en matière de construction et de bâtiment. Certes, nous ne sommes pas des experts, mais grâce à nos constats, nous avons une certaine pratique de ces problématiques qui peut s’avérer essentielle dans la bonne gestion d’un dossier.

Quel(s) regard(s) la profession porte-t-elle sur la loi ALUR ?
La Chambre nationale des huissiers de justice a suivi avec une attention toute particulière les travaux parlementaires autour de la loi ALUR, qui vient modifier en profondeur de nombreuses dispositions de la loi de 1989. Les huissiers de justice sont directement concernés par ces questions, notamment en raison de l’activité d’administrateur d’immeuble, qu’ils peuvent exercer à titre accessoire.
En particulier, la question de l’état des lieux locatifs a été au centre de l’attention de la Chambre nationale, dans la mesure où le projet initial laissait planer plusieurs incertitudes sur le cadre juridique permettant l’intervention de l’huissier de justice dans cette matière très importante, car elle permet de réduire fortement le contentieux locatif. Fort heureusement, les dispositions issues du débat parlementaire ont clarifié cette situation. Les règles actuellement applicables s’en trouveront néanmoins profondément altérées. La loi opère en effet, un revirement spectaculaire par rapport au droit antérieur, qui prévoyait que les frais relatifs au constat d’état des lieux ne pouvaient en aucun cas être mis - ne fut-ce que partiellement - à la charge du preneur. La loi ALUR rompt avec ce principe : désormais les frais de l’état de lieux seront partagés entre le bailleur et le preneur. Toutefois, la partie laissée à la charge du locataire sera plafonnée dans des limites prévues par un décret en Conseil d’Etat, qui n’a pas encore été publié.
Autre nouveauté très importante, la garantie universelle des loyers (GUL). Mais, là encore, il est difficile de pouvoir donner une vision précise de ce nouveau dispositif, qui a pu susciter de nombreuses réserves, en l’absence des décrets d’application. En tous cas, la CNHJ est impliquée dans la préfiguration de la GUL afin que le dispositif, s’il devait voir réellement le jour, comme le ministère l’a rappelé encore il y a quelques jours, puisse être le plus efficace possible. Il faut reconnaître, en effet, que pour le moment les questions en suspens sont nombreuses.

S’agissant des nouveautés relatives à la copropriété, notre sentiment est plutôt positif. L’allègement des règles de majorité est important, car il permet de dépasser des situations de blocage (liées à l’absentéisme de certains copropriétaires). Nous considérons que la clarification opérée dans les contrats de syndic va également dans le bon sens. Les huissiers de justice sont habitués, par leur pratique du tarif, à agir dans un cadre strict ; les nouvelles obligations ne sont pas étrangères à notre culture. Certains points de la loi nous paraissent, en revanche, trop contraignants pour les professionnels : ainsi, l’alourdissement du devoir d’information au moment de la promesse de vente devrait être pris en compte financièrement, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
 


Propos recueillis par la rédaction