[N° 594] - Entretien : “La copropriété et les coopératies d'habitants selon la loi Alur”

par Edilaix
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Entretien avec Thierry Poulichot, avocat
«L’article 22 de la loi Alur vise explicitement à renouer avec le mouvement coopératif»

Thierry Poulichot est avocat au barreau de Rennes. Ayant le droit de la copropriété comme activité dominante, il s’intéresse également aux formes alternatives de propriété ou de jouissance des logements. Me Poulichot est président de l’association LGOC (Lien des Garanties Objectives dans la Cité) qui vise à promouvoir les actions collectives de type coopératif, notamment dans le domaine de l’habitat.

Quelles différences faut-il faire entre la gestion de forme coopérative issue des articles 14 (alinéa 2) et 17 de la loi du 10 juillet 1965 et les coopératives d’habitants ou les sociétés d’autopromotion prévues par l’article 22 du projet de loi Alur fixant le statut des sociétés d’habitat participatif ?
«Si un syndicat des copropriétaires adopte la forme coopérative, la constitution d’un conseil syndical est obligatoire. Le syndic est élu par les membres de ce conseil et choisi parmi ceux-ci. Il exerce de plein droit les fonctions de président du conseil syndical. En outre, le conseil syndical peut élire, dans les mêmes conditions, un vice-président qui supplée le syndic en cas d’empêchement de celui-ci. Les articles 40 à 42-2 du décret du 17 mars 1967 prévoient également certaines règles spécifiques. Tous les actes du syndicat doivent mentionner qu’il a la forme coopérative. L’assemblée générale peut charger du contrôle des comptes diverses personnes à condition qu’elles soient copropriétaire, expert comptable ou commissaire aux comptes. Des unions coopératives peuvent être fondées entre plusieurs syndicats coopératifs pour créer ou gérer des services destinés à faciliter la gestion de ces syndicats.»

«Hormis ces éléments, le statut de la copropriété s’applique intégralement aux syndicats de copropriétaires de forme coopérative. Ce n’est pas le cas pour les coopératives d’habitants prévues dans l’article 22 de la loi Alur tel qu’il est pour l’instant rédigé, suite au vote du Sénat intervenu le 24 octobre 2013. Celles-ci seront des sociétés à capital variable dont le but sera l’acquisition ou la construction, puis la gestion d’un bien immobilier à destination de logement principal. Les associés ne seront propriétaires que de parts sociales et n’auront qu’un droit de jouissance concernant les espaces qui leur seront dévolus. Concernant les sociétés d’autopromotion prévues par la même loi, la situation sera identique même si, au final, l’attribution en pleine propriété de lots sera possible à l’achèvement de l’immeuble. Dans ce cas, le statut de la copropriété s’appliquera le cas échéant.»


En quelques mots quels seraient les avantages et/ou les inconvénients de ce projet de dispositions en faveur de l’habitat participatif ?
«L’habitat participatif vise à permettre à des citoyens de concevoir, construire et gérer en commun leurs logements. Cela s’inscrit dans un mouvement historique précis. Dans le sillage d’auteurs comme Robert Owen (1771-1858) en Grande-Bretagne ou Charles Fourier (1772-1837) en France, tout un courant a souhaité que les travailleurs s’associent pour maîtriser ensemble leurs outils de production et leur habitat. Les sociétés à capital variable créées par la loi du 24 juillet 1867 ont été un premier pas dans cette direction. Elles permettaient l’acquisition progressive des entreprises par les ouvriers. La loi n°47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération a consolidé cette mouvance en fixant les règles relatives aux SCOP (dénommées depuis 2010 Sociétés Coopératives et Participatives) et en créant les coopératives d’habitat. Ces dernières ont été supprimées par la loi N°71-580 du 16 juillet 1971 suite à certains déboires. L’article 22 de la loi Alur vise explicitement à renouer avec le mouvement coopératif, d’où des références, pour les sociétés coopératives d’habitants, à des mécanismes existant également concernant les SCOP. Outre le fait qu’il s’agira de sociétés à capital variable, il est également  prévu la révision coopérative, soit l’examen périodique de la gestion et de la situation technique et financière de ces sociétés. On note aussi l’existence de réserves impartageables entre les associés, ce qui est une garantie de solidité de la démarche collective.»

«Toutefois, l’habitat participatif peut également revêtir d’autres formes juridiques. Depuis 40 ans, l’absence de coopératives d’habitat a conduit des acteurs aspirant à l’autogestion dans le domaine du logement à utiliser des mécanismes comme la société d’attribution (article L. 212-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation). Cette solution permet de n’attribuer aux associés que la jouissance de logements tant qu’un partage n’est pas voté. Diverses décisions juridictionnelles intervenues dans ce cadre ont montré qu’il faudra être vigilant si l’habitat participatif vient à se développer. Les personnes intégrant des démarches de ce type souhaitaient bénéficier d’un logement au meilleur prix sans forcément comprendre la nécessité de respecter des cadres collectifs et de s’impliquer dans la gestion de la structure. La copropriété peut aussi connaître ces difficultés. Cependant, à la différence des personnes chargées de la gouvernance d’un habitat participatif, les copropriétaires peuvent s’en remettre totalement à un gestionnaire professionnel.»

Par rapport à la gestion proposée par le syndic professionnel, qu’apporte le mode de gestion de forme coopérative ?
«La gestion de forme coopérative en copropriété permet de dégager des marges financières grâce à la diminution sensible des frais d’administration. Cela donne aux copropriétés concernées la possibilité d’investir plus en matière d’entretien du bâti ou de travaux d’économie d’énergie. En outre, le fait que le syndic appartienne au conseil syndical induit un bénévolat au sens strict, puisque les fonctions de membre du conseil syndical ne peuvent être rétribuées (article 27 du décret du 17 mars 1967). Enfin, la rotation aux responsabilités des copropriétaires animant la démarche collective est également facilitée par la possibilité de changer de syndic sans assemblée générale, ce qui facilite un partage des efforts et une dynamique durable. Les professionnels de l’immobilier commencent à proposer des solutions intéressantes au plan financier pour assister les syndicats de forme coopérative sur des points techniques sans priver les copropriétaires de leur pouvoir de décision. Copropriété, performance et esprit de coopération sont donc parfaitement compatibles.»