[N° 591] - Entretien avec Thomas Roux Projet de loi Alur : un choc salutaire pour l’administration de biens ?

par Edilaix
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Thomas Roux est directeur délégué de Xerfi-Precepta, cabinet indépendant d’études économiques et sectorielles. Il est co-auteur avec Jean-Christophe Briant, de l’étude,“Les administrateurs de biens à l’horizon 2017 : l’impératif de recentrage sur les métiers de la gestion et de la relation client.”*
«Le projet de loi Alur (Duflot 2) va porter un coup décisif au modèle économique historique des administrateurs de biens. Celui-ci va en effet imposer une obligation de compte séparé entre le syndic et le syndicat de copropriété. De quoi priver les professionnels des produits financiers issus des placements des comptes mandants. Cette loi va également instaurer un forfait pour les actes de gestion courante et mettre des limites aux actes spécifiques.»

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Vous venez de signer une étude sectorielle de plus de 500 pages, sur les administrateurs de biens à l’horizon 2017. Selon vous, le projet de loi Alur, porté par la ministre Cécile Duflot, va porter un coup décisif au modèle économique de ces cabinets. Pourquoi ?

«Oui, il faut rappeler qu’historiquement, les administrateurs de biens se sont majoritairement enrichis grâce aux activités qui sortaient de leur cœur de métier (notamment le syndic de copropriété). D’une part, la transaction. Et d’autre part, les produits financiers issus du placement des comptes mandants. La loi Duflot 2, quand elle entrera en vigueur, imposera aux administrateurs de biens un compte séparé entre le syndic de copropriété et le syndicat des copropriétaires. Conséquence directe : le tarissement de ces fameux produits financiers (qui au moment où les taux étaient au plus haut, en 2008, représentaient plus de la moitié du taux de résultat net des professionnels). C’est réellement sur les produits financiers que l’impact de la loi Duflot 2 sera le plus fort.»

Au fil de vos études portant sur ce secteur d’activité, conduites sur plusieurs années, vous engagez les administrateurs de biens à revenir sur le cœur de métier à savoir la gestion de copropriétés et la gestion locative. Selon vos recommandations, ce choc “Duflot“ ne serait-il pas, du point de vue de leur développement, finalement salutaire ?

«Je pense effectivement que l’instauration de la loi sera salutaire. En effet, pendant trop longtemps, les activités de base ont été délaissées au profit des activités plus lucratives (mais aussi beaucoup plus cycliques). Si la gérance locative demeure une activité viable qui génère de bonnes marges, le syndic de copropriété a clairement été délaissé (prestations non vendues à leur coût, dégradation de la qualité, malversation…). Au sein de Xerfi-Precepta, nous sommes convaincus que c’est une aberration et nous prônons depuis longtemps un recentrage plus marqué sur les activités de gestion. Le nouveau projet de loi ne devrait, en théorie, plus laisser le choix aux professionnels. Le potentiel de croissance de la gérance locative est élevé dans la mesure où la moitié des biens en location sont gérés en direct par les propriétaires. Comme je le disais précédemment, la gérance locative est une activité certes perfectible, mais qui dégage déjà de bonnes marges. Le plus gros du travail porte sur le syndic de copropriété alors que c’est une activité clé :
1) elle permet de dégager des revenus récurrents ;
2) si le rapport qualité/prix est au rendez-vous, le taux de fidélisation est proche de 100 % ;
3) elle permet de générer du business sur des activités complémentaires (la gérance et la transaction). Les professionnels doivent enfin se pencher sur cette sacrosainte qualité de services et se doter des moyens pour y parvenir. Car rappelons-le : les copropriétaires ne se plaignent généralement pas du prix (les prestations de syndic ne sont généralement pas vendues à leur coût), mais de la qualité de services. Toute la problématique pour les administrateurs de biens dans les années à venir sera de proposer des services de qualité, et communiquer dessus, de manière à faire accepter des hausses tarifaires inévitables.»

Vous aviez dressé une typologie des acteurs de l’administration de biens : comment se dessine-t-elle aujourd’hui ? Pouvez-vous caractériser ces familles ?

«Le secteur de l’administration de biens en France est caractérisé par la présence d’un nombre très important d’acteurs locaux indépendants. A cela, il convient de rajouter les agences immobilières qui se sont diversifiées sur les activités de gestion (de la même manière que les administrateurs de biens se sont positionnés dans la transaction). La principale différence, ces dernières années, est au niveau des changements capitalistiques : Foncia chez Bridgepoint/Eurazeo, Urbania-Adyal chez IPE, Icade ADB chez Procivis Immobilier et Gérer chez Dauchez. La plupart des mouvements mettent en lumière le désengagement des banques dans le secteur. Car in fine, les fameuses synergies attendues banques/administration de biens n’étaient finalement qu’un miroir aux alouettes. En marge de ces groupes, nous retrouvons un nombre important de groupes encore indépendants développant des stratégies de croissance très intéressantes et qui ont incontestablement une carte à jouer. Parmi eux, Citya, Oralia, Sergic, Tagerim, etc.»

Quelles évolutions stratégiques discernez-vous pour les groupes d’administration de biens détenus par des fonds d’investissement ?

«Personnellement, j’émets beaucoup de réserves sur la pertinence pour un fonds d’investissement de détenir un groupe d’administration de biens. L’activité demeure avant tout une activité de service local et qui se prête peu à une industrialisation. Certes, des économies d’échelle peuvent être réalisées, mais à la marge. Car répétons-le, chaque copropriété est différente des autres, et doit être traitée comme telle. L’analyse financière que nous avons réalisée montre bien que la prime à la taille est très loin d’être évidente au vu des performances des petits opérateurs locaux et des grands groupes. Les opérations de concentration (via notamment les banques) que le secteur a traversées poursuivaient bien davantage des logiques financières (avec le placement des fonds mandants) que des logiques industrielles.» 


Propos recueillis par la rédaction

 

* Edition Xerfi-Precepta, juillet 2013, 506  pages, 2 900 € HT.