[N° 607] - Le mainate et le béryx. Les trois modèles de gestion en copropriété

par Thierry POULICHOT
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TRIBUNE

La loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 a bientôt cinquante ans. C’est l’occasion de rappeler son principal mérite, puisqu’elle arrive à faire coexister plusieurs modèles de gestion différents. Tribune de Thierry POULICHOT, avocat au barreau de Rennes, président de l'association LGOC.

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Ainsi, les copropriétaires ont la faculté d’administrer leur patrimoine commun sans faire appel à des prestataires extérieurs. Outre la possibilité pour l’assemblée générale d’élire un syndic bénévole, il faut évoquer la gestion de forme coopérative. Cette dernière a été rendue possible par les articles 14, alinéa 2, et 17, alinéa 4, de la loi du 10 juillet 1965 dans sa rédaction originelle. Dès cette époque, en cas d’adoption par l’assemblée générale de cette forme de gestion, le conseil syndical, composé de copropriétaires bénévoles, pouvait désigner en son sein un syndic coopératif.
L’expérience montre que ce mode de gestion fonctionne de manière pérenne si certaines garanties sont constituées. La dépendance à l’égard d’un seul copropriétaire semble, par exemple, inopportune. En outre, une participation large au sein du conseil syndical est souhaitable. Cela implique des garanties organisationnelles sur lesquelles il convient de réfléchir. Pour qualifier ce modèle, l’intérêt du terme pourtant ancien de garantisme, doit être mieux analysé.
On notera que les coopérateurs, qui veulent simplement s’émanciper, n’ont rien à redouter lorsque leur voisin souhaite en faire de même. Les diverses démarches peuvent s’allier dans des unions pour échanger des informations et mutualiser leurs moyens sans qu’il s’agisse pour les uns de dominer les autres ou de leur faire concurrence.
Néanmoins, des copropriétaires ne souhaitent pas s’impliquer dans la gestion de leur immeuble et préfèrent recourir à des syndics professionnels. En cas de conflits, un nouveau syndic est susceptible d’être choisi. On peut parler de régulation par le marché, concernant cette seconde solution.
Ledit système fonctionne de manière correcte si les copropriétaires sont solvables. Les impayés sont alors rares et aisément recouvrables. L’état du bâti reste satisfaisant grâce à des travaux réguliers. La présence d’un conseil syndical assure la possibilité de rechercher un nouveau syndic en cas de désaccord majeur. L’épée de Damoclès que cela représente suffit généralement à éviter les tensions graves.
Pour disposer d’informations fiables et indépendantes, les copropriétaires peuvent intégrer des associations agréées, extérieures à l’administration publique mais soumises au regard de l’État. Cela constitue une protection nécessaire pour cette population qui ne souhaite pas s’investir dans un contrôle institutionnel mais avoir un minimum d’éléments d’appréciation. Un tel équilibre représente, d’ailleurs, un autre sujet d’étude passionnant. Reste à savoir ce que font ceux qui n’ont ni le souhait de bâtir des garanties ni la solvabilité nécessaire pour bénéficier de prestations fournies par le marché.

Faire payer certains à leur place
Un troisième modèle leur est disponible : faire payer certains à leur place. Une division radicale s’opère alors entre ceux qui se dévouent et ceux qui en profitent. On peut ainsi parler de fracture sacrificielle. L’essentiel est de rester du bon côté de la barrière.

Dans les immeubles concernés, les impayés s’accumulent. Les travaux nécessaires sont différés. Incivilités et comportements délétères sont trop nombreux pour pouvoir être sanctionnés. La collectivité finance des réhabilitations a minima pour attirer de nouveaux copropriétaires pouvant se sacrifier à leur tour. De vives tensions handicapent parfois le fonctionnement des assemblées générales, notamment dans de très petits immeubles ou dans des ensembles immobiliers importants. Au final, les copropriétaires qui se sacrifient finissent par partir.
Nul n’est obligé par la loi de constituer des syndicats de copropriétaires là où les difficultés de gestion sont prévisibles. Nul n’est contraint par la loi de tromper des personnes pour qu’elles s’y sacrifient. Néanmoins, ces agissements restent impunis et, une fois que ce choix est fait, il faut en étudier les conséquences. C’est là une question de criminologie captivante sur laquelle il conviendra également de se pencher.
Les anciens copropriétaires qui ont subi ces épreuves doivent renoncer à toute réparation, mais le font au nom d’impératifs précis. Logiquement, ils ne peuvent qu’être exigeants quant au respect des valeurs pour lesquelles ils se sont sacrifiés. Cela favorise la défiance, l’intransigeance ainsi qu’un autre mode d’habitat, propice à l’étalement urbain. Dans les zones périphériques qui se constituent alors, un jugement sévère à l’encontre du centre des villes est porté. Une telle aversion constitue un outil efficace afin de forger une cohésion qui renforce certains acteurs locaux.
Ceux qui ont initié le processus de la fracture sacrificielle découvrent donc que ce modèle implique des résultats bien particuliers. Pour tenter de limiter leur responsabilité dans ce bilan, ils accusent parfois la loi du 10 juillet 1965 et ses rédacteurs d’être les seuls responsables des difficultés présentes… Ce n’est pas sérieux. La loi ne force personne à pratiquer la fracture sacrificielle. Deux autres modes de gestion sont disponibles. Chacun peut les adopter en faisant les efforts nécessaires.
Les adeptes de la fracture sacrificielle ont, certes, un handicap lorsqu’ils veulent soudain promouvoir le garantisme coopératif ou la régulation par le marché, puisqu’ils n’ont ni favorisé la création de garanties mobilisatrices ni amélioré la solvabilité des copropriétaires. A qui la faute ? Celui qui incarne un modèle doit assumer sa situation, qu’il l’ait choisie ou non. Des mainates n’ont pas à jouer les béryx.
Le béryx est un poisson vivant dans les abysses. Un mainate peut dire «je suis un béryx» toute la journée. Cela ne permet pas pour autant au volatile d’évoluer au fond des mers…